Le secret de l’élasticité des fils d’araignée

On sait depuis longtemps que la soie des araignées est extrêmement résistante et élastique, lui permettant de stopper des objets rapides en mouvement comme des insectes…ou des trains comme le montre ce document d’archive de 2004:

En réalité si les toiles que lance Peter Parker dans cette scène étaient en véritable soie d’araignée de ces dimensions, elles pourraient potentiellement stopper ce train…

La résistance du fil de soie de ces araignées est excellente mais c’est surtout son élasticité qui est sans pareil: à peu près 10 fois plus élastique que du caoutchouc naturel…

On pensait que cette caractéristique était due à la matière seule. Or on sait que les fils de soie d’araignées sont recouverts de fines gouttelettes un peu “collantes”:

On a longtemps pensé que ces gouttelettes ne servaient qu’à faciliter la capture d’une proie en l’engluant dans la toile…

Et bien non. Ces gouttelettes jouent un rôle bien plus important que celui d’un papier tue-mouche: elles rendent le fil de soie comprimable et rétractable! démonstration:

Video credit: PNAS

A t=0s le fil est sec. Quand on le comprime on voit bien qu’il ploie puisqu’il n’a aucune rigidité.

A t=9s on dépose quelques gouttes d’huile de silicone sur le fil. Dès lors quand on le comprime il reste parfaitement tendu et se rétracte comme une tige télescopique.

Alors comment ça marche? Comment les quelques gouttelettes déposées sur ce fil souple peuvent-elles lui conférer ces propriétés?

Tout devient clair lorsque l’on regarde de plus près:

Video credit: PNAS

Le fil s’enroule autour de la gouttelette. Il peut ainsi se rétracter jusqu’à 95%, autrement dit on pourrait comprimer un fil d’un mètre de longueur en seulement 5cm…

Evidemment tout cela ne fonctionne qu’à l’échelle micrométrique, où les forces concernées ici ne sont pas négligeables vis à vis de la gravité.

Cette découverte est majeure car elle permet d’obtenir d’un fil “solide” un comportement “liquide” comme indiquent les chercheurs. C’est à-dire qu’un fil souple et sans rigidité peut être comprimé de manière réversible à tension contrôlée. En effet à cette échelle (quelques microns de large) les fils synthétiques sont très fragiles, les enrouler/dérouler est très délicat.

On sait maintenant obtenir des fils micrométriques extensibles à loisir de manière réversible, tout en conservant une tension constante durant le process.

Les applications sont multiples: robotique, muscles artificiels, composants électroniques souples étirables, etc.


Pour aller plus loin, un peu de physique:

Les chercheurs qui ont réalisé ces expériences ont prouvé que ce phénomène fonctionne avec une grande variété de matériaux synthétiques et n’est pas limité à la soie d’araignée.

Dans leurs expériences ils ont su créer des fils “liquides” synthétiques à base de:

  • fils de Polyuréthane, PVDF-HFP et PLA (quelques microns de large, environ un mètre de long – filés par goutte fondue du polymère étirée à température ambiante pour les deux premiers, electrospinning pour le PLA).

  • gouttelettes en huile de silicone et éthanol

En réalité le choix est vaste pour les matériaux, ce dont on a surtout besoin pour recréer le phénomène c’est:

  • d’utiliser un fluide Newtonien pour les gouttelettes (tout fluide dont la viscosité n’est pas affectée par les contraintes mécaniques qu’on lui applique: i.e. l’eau, l’huile, etc.),

  • d’être à une échelle suffisamment petite pour obtenir une gouttelette plus ou moins sphérique qui tient sur le fil.

Pourquoi? Parce-qu’il faut que les forces de tension superficielles à l’interface liquide/air deviennent supérieures à la gravité pour que le liquide forme une goutte plus ou moins sphérique, et cela n’est possible que pour une goutte de masse très faible.

En effet à l’échelle humaine une “grosse” goutte d’eau s’écroule sous son propre poids. A moins d’éliminer la gravité:

A bord de l’ ISS les astronautes ont pu réaliser une “grosse” goutte d’eau sous gravité nulle. 

 

Un vrai gain de place pour ranger ses lacets dans l’espace ;)


Pour en savoir plus sur cette expérience la publication originale est ici. Les auteurs de cette publication sont Hervé ElettroSébastien NeukirchFritz Vollrath et Arnaud Antkowiak.

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